mardi 24 juin 2008

les zaraz




Au menu du jour, surveillance de l'épreuve finale des arts appliqués pour le baccalauréat.
Durée : 8 heures
Sujet : le repos (les examinateurs ont vraiment l'art du paradoxe, voire du foutage de gueule).
Ambiance : super détendue et très concentrée...
De mon bureau, je vois surtout de jeunes filles faussement ingénues qui ont étalé sur le bureau en stylo et crayon de couleur l'équivalant de dix huit trousses de maquillage.

Elles ont vraiment envahi les lieux, laissant des copeaux de craie d'art et des boulettes de colle un peu partout. Les semences de l'art et de la culture...

On conviendra volontiers de la bonne volonté que mettent les étudiantes en arts appliqués à "se distinguer" à tout prix, depuis la recherche vestimentaire à la composition capillaire, depuis la hauteur de leur vue jusqu'à la posture étudiée (mille et une manières de se "poser" sur une chaise en salle d'examen...

Un grand moment anyway, d'autant qu'un sujet aussi soporifique a su produire d'assez admirables réalisations, au point que j'envie presque les profs qui ont les corriger !!!

jeudi 19 juin 2008




Le lac

Ton corps— cette brume insondable

J’ai plongé dans le lac parmi les nénuphars
sous un ciel brûlant de pollen
l’eau dans ma bouche, la boue de mes cheveux
—dans mon crâne : ton ombre minuscule—


le soleil paresseux humait ta peau
tes yeux —deux fentes prudentes—
regardaient la surface chevelue
est-ce que tu n’as jamais su ?


Tes mains —mangées par la vie
l’iris vissée dans le lointain
tu n’entends pas —ou entends trop bien
mes doigts qui t’effleurent sans te toucher


Ta voix — un beau luth mal accordé
cherche ses mots —pioche et ricoche
ne pas t’aider, ne pas souffler, écouter
l’ivresse des aubois et l’aigreur des cloches


j’ai sombré dans le lac au pied des lotus
sans nager, sans combattre — la vase
est entré dans ma tête ¬ —une nasse
et ma bouche inaltérée —enfin— s’est tue

Juin 2008

lundi 21 mai 2007

Attendre toi



Je n’ai pas bu ce soir.
Pas pu.
La musique grondait dans la salle comme un animal contenu.
Des corps de passage, lâchant dans une haleine vieille, un « ça va ? » qui n’appelle pas de réponse.
Oui, bien sûr, ça va.
Être là, c’est m’oublier, me glisser dans l’entourage, me fondre en lui, dans sa joie, son ivresse, sa lumière qui ne meurt jamais. C’est vous qui dites que je vais bien.

Alors les discours, les preuves irréfutables de mon bonheur…
Quand bien même j’aurais des raisons objectives de te dire que je vais mal, tu me prendrais pour un drôle d’oiseau et tu dirais « ne t’énerves pas, je te demandais juste “ça va ?” et non pas ”raconte-moi ta life, man” ».
Donc, « oui » et passons à autre chose.
Ou plutôt non.
Je ne suis pas immobile à attendre par hasard. Tu as deviné que la personne que j’attendais ne viendrait pas. C’est d’ailleurs pour ne pas prendre sa place que tu as filé comme un voleur.
Ce n’est pas grave.
Si j’attends quelqu’un qui ne viendra pas, c’est peut-être parce que ce quelqu’un ne sait pas que je l’attends, ou que moi -même je ne sais pas de qui il s’agit.
Je suis là tout de même.
Juste attendre.
Attendre.
Non pas quelqu’un.
Contempler l’attente.
La vivre.
Sans objet.
Faire de l’objet un à côté.
Du coup, c’est moi le sujet attendu. C’est moi qui me fais désirer.
C’est moi que l’on cherche du regard sans jamais me trouver, moi qui ne réponds pas au téléphone, moi qui esquive les invitations pour un impromptu sur le fil, moi qu’on réclame en se doutant bien que je ne me montrerai pas, moi contre qui on peste encore, parce que ç a commence à bien faire ces excentricités.
Moi qui ne me doute de rien.

Bien sûr viendra l’instant où je comprendrai que cela n’a pas le moindre sens. Mais il sera tard, et la fatigue étouffera jusqu’à la musique qui gronde comme un fauve en cage.

tchk tchk tchk



La musique cessa, les têtes oscillèrent dans le silence profond.

La fumée retint longtemps les notes poisseuses et les larcens.

Même le silence se mit à ronronner d'une plainte de coton.

Ce fut le jour, soudain, comme si rien n'avait eu lieu.

Hell's kitchen



Dans le couloir où nous discutions souvent, j’ai passé mes doigts dans les interstices de la pierre. Il y a de nouveaux trous, tu sais, de ceux que laissent des silhouettes fuyantes, comme un dommage collatéral.
Le couloir sent l’urine. Il n’y aura bientôt plus de cigarette dans la petite rigole qui serpente jusqu’à la gille des eaux usées.
J’aimais regarder tes pieds, comme tes pantalons toujours trop longs léchaient la dalle malpropre de ce couloir.
Quand tu ne parlais plus, des voix lointaines et confuses venaient mourir à nos pieds. Parfois, tu souriais car tu savais qui hurlait ainsi des insanités tout justes bonnes à finir aux toilettes.
Mais j’étais seule aussi, le temps que tu ailles remplir ton verre, et que quelques filles pompettes s’essuient l’œil sur ton dos, tes cheveux, ta nuque toujours nue.
Et les conversations qui n’en finissaient pas. A croire que la moindre âme installée au bar, dans la touffeur où on ne distingue plus rien, avait quelque chose à te dire.
Je t’ai attendu.
Tu revenais, bien sûr. Le couloir, ce passage obligé.

Les filles à leur tour, passant devant moi sans un mot sans un regard.

Un jour, le bar a fermé. Moi je suis restée. Le couloir a été repeint en beige, une moquette profonde tient la sueur et l’urine à des années lumières des grands soirs. Et moi, le dos brisé, je nettoie la souillure qui n’est plus faite de bière ou de vin bon marché, mais de café instantané et de plateaux-repas conditionnés.

Démone



Ciel silence
pendant que mes yeux dansent

feuille à feuille ma pâleur
—luis comme une injure

des mots plus que des fleurs
embrassent vos bouches mornes
la pourpre / mes lèvres si dures
embrasent vos esprits borgnes

la ténèbre pour seul langage
l’éternité pour seule page
des mots des mots défaussés
si terribles qu’on les dévore

j’empêche les eaux souillées
je bois la fange à même vos bouches
je broie du noir par petites touches
et je renais aveugle et mandragore